J’avais préparé ma course d’obstacles quotidienne: pièce de 10 francs, billets de 50, tampon, ordonnances, feuilles de soins et autres imprimés indispensables, stethoscope, stylo, dossiers. J’avais aussi établi mon itinéraire et l’ordre des visites.
J’avais laissé pour la fin M.M... que je ne connaissais pas, mais je savais qu’il avait eu une attaque cardiaque et que son docteur était en vacances.
Mme K..., elle, ne demeure pas loin du cabinet et c’est ce qu’on appelle une visite facile : quelques mots conventionneles et renouvellement d’ordonnance comme tous les mois.
Aujourd’hui, tout avait commencé comme d’habitude : elle m’avais salué, introduit dans sa chambre surchauffée, les boîtes de médicaments étaient bien alighées sur la table, elle avais relevé sa manche pour que je lui prenne la tension, j’avais écrit sous sa dictée et je me suis sauvé pour rejoindre le prochaine patient.
« Ça va pas mieux. J’ai la bouche sèche. J’ai eu mal toute la nuit. Ça me démange. Je ne peux rien manger. C’est mes dents. J’ai pas d’appétit. je ne peux plus descendre. Et je suis toute seule. Ça ne peut plus durer. Il n’y a rien à faire. Et... »
J’ai beau être habitué. je continue à recevoir ce flot de plaintes comme une douche froide, brutale et ininterrompue, alors que j’ai encore le souffle coupé par les six étages. En fait, elle ne va pas si mal que ça, Mme Z... Bien sûr, elle a une maladie au nom bizarre, particulièrement rare, qui lui assèche la bouche et peut lui donner quelques rhumatismes. Je dois avouer que mes multiples traitements, qu’elle dit prendre scrupuleusement, ne brillent pas par leur efficicité. Et lorsque j’ai reussi à la convaincre de faire soigner ses dents à l’hôpital, les stomatologues n’ont pas été tellement plus perfomants que moi. Mais alors pourquoi moi? pourquoi ne « prend »-elle pas un autre medecin ? En tout cas, en attendant, je continue à aller la voir et à me faire asperger de toutes ses plaintes que je ne supporte finalement pas tros mal.
Mme P..., soixante-six ans, diabétique et hypertendue, pèse autour de 140 kilos et respire plutôt mal. Lorsque je l’ai connue il y a maintenant plus de sept ans, je ne lui donnais pas une très grande « espérence » de vie. En fait, elle s’est mariée il y a deux ans, elle fait des efforts pour restreindre les glaces, mais ne peut vraiment pas renoncer aux cerises, et ma foi, elle va plutôt bien.
Mme D..., soixantes-douze ans, habite à cent mètres. Elle ne fait vraiment pas le poids :45 kilos et une respiration précaire. Elle souffre d’un asthme grave et appelle le SAMU une fois par mois en moyenne. Ce qui ne l’empêche pas de refuser toujours les hospitalisations.
Aujourd’hui, lorsque j’arrive chez elle, une heure après qu’elle m’ait appelé, j’entends bien les chiens aboyer mais elle ne m’ouvre pas la porte. Longues secondes d’hésitation. C’est en redescendant de chez la voisine où j’ai appelé les pompiers qu’elle finit par me repondre qu’elle est tombée et réussi à m’ouvrir.
- Bon maintenant, vous allez aller à l’hôpital, n’est-ce pas ?
- Ah non !
- Ah bon ?
...
J’en ai vraiment assez. je parviens à peine à écluser mon cabinet. J’ai chaud et il est tard. Et voilà que l’interphone sonne. Ça ne loupe jamais.....
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